Chers journalistes : arrêtez d’essayer de sauver la démocratie
Les journalistes qui confondent information et militantisme ne font que saper les institutions démocratiques.
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Yascha
P.S. : Ce week-end, j'étais invité dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut. Vous pouvez écouter la conversation qu'Alain, Laure Mandeville et moi avons eue sur l'élection américaine ici.
Cette chronique est initialement paru en français dans Le Point.

En 2006, je faisais un stage au bureau parisien de l'International Herald Tribune. Les tâches qui m'étaient confiées étaient pour la plupart ingrates. Je photocopiais la maquette des pages de l'édition du lendemain et parfois entrais de courtes descriptions d'articles dans l'intranet. Ma plus éminente prouesse fut le dévissage d'une ampoule au néon qui clignotait et empêchait les rédacteurs en chef de se concentrer – un geste simple qui me valut l'hostilité éternelle du gardien français qui avait refusé de nous aider car il ne restait qu'un quart d'heure avant la fin de son service, mais qui estimait que personne ne devait être investi du droit d'améliorer la situation à sa place.
L'autre moment mémorable fut celui où on me renvoya chez moi pour changer de tenue. J'avais mis sans y réfléchir un tee-shirt offert par un ami pendant la campagne présidentielle quelques années auparavant : une reproduction du tableau « Le Cri », d'Edvard Munch, portant la mention : « Bush Again ? » Je doute que quiconque au bureau ait été offensé par ce tee-shirt. En fait, j'imagine que la grande majorité des employés de l'IHT ressentaient la même chose. Mais les directeurs de la salle de rédaction prirent très au sérieux à la fois leur devoir de neutralité et celui d'être perçu comme tels. À cette époque d'avant les réseaux sociaux modernes, le risque que mes choix vestimentaires douteux ne fuitent frôlait sans doute la nullité ; tout de même, ils n'étaient pas prêts à le courir.
Cet épisode résume bien l'attitude des journalistes d'autrefois. En tant que groupe, ils ont toujours penché à gauche et le feront peut-être toujours. Mais ils avaient également une conception très rigoureuse de leur rôle et de la déontologie qu'il impliquait : leur travail consistait à être des arbitres impartiaux et de transmettre l'actualité sans peur et sans favoriser personne. Cela impliquait de poser des questions, souvent bien désagréables, à tout le monde et sur tous les sujets. Et pour ce faire, il leur fallait cultiver un solide détecteur de fumisteries, en partant du principe que toutes les personnes à qui ils s'adressaient avaient leur propre version, très personnelle sinon nécessairement biaisée, de chaque histoire. Certes, le journalisme, même à son âge d'or, n'a jamais été totalement à la hauteur de ces aspirations ; mais leur simple existence a beaucoup fait pour atténuer les inclinations partisanes de la profession et préserver un minimum de confiance dans les organes de presse généralistes.
Tout cela est parti en fumée lorsque Donald Trump est entré en politique. Les spécialistes des sciences politiques comme moi ont averti que les populistes autoritaires pouvaient représenter un réel danger pour la démocratie. D'autres analystes sont allés encore plus loin et ont affirmé que Donald Trump devait tout bonnement être considéré comme un fasciste. Confrontés à ce qu'ils considéraient comme une véritable urgence, de nombreux journalistes jeunes et progressistes en sont venus à croire qu'il leur fallait renverser la conception traditionnelle de la mission de leur profession. Plutôt que de rejeter l'esprit de parti, ils se sont mis à prôner ouvertement le fait de prendre celui de la bien-pensance. Et loin de se battre pour l'objectivité, ils ont résolu d'offrir à leurs lecteurs une « clarté morale ». En adoptant le slogan « La démocratie meurt dans l'obscurité », en février 2017, le Washington Post n'a fait que formaliser le consensus en train d'émerger.
Cette nouvelle conception de leur métier, adoptée par une large part des journalistes américains, était à la fois moins exigeante et plus gratifiante que celle qu'elle remplaçait. Elle était moins exigeante parce qu'elle leur donnait une excuse toute trouvée pour se complaire dans leurs biais : favoriser son camp n'était plus un échec déontologique mais un courageux acte de résistance. En même temps, elle était gratifiante parce qu'elle transformait les journalistes de façon visible en les faisant passer d'humbles sténographes du premier brouillon de l'histoire à acteurs cruciaux d'une grande bataille historique dont l'enjeu était la protection de la démocratie.
Cette nouvelle vision éveille chez moi une certaine compassion. C'est vrai que la démocratie est assiégée dans le monde entier. Et en tant que citoyens, nous avons l'obligation de faire notre possible pour soutenir des principes comme la liberté d'expression et l'État de droit. Les démocraties ont besoin de citoyens engagés – et s'il faut que certains d'entre eux éprouvent un sentiment hypertrophié de leur potentielle efficacité pour les aider à avancer, pourquoi ne pas leur laisser leurs illusions ?
Mais si nous avons peut-être tous, y compris les journalistes, l'obligation civique de nous battre pour préserver notre système politique, estimer que les journalistes doivent placer cette aspiration au centre de leur identité professionnelle relève de la faute catégorielle. Les démocraties dépendent de l'existence de quelques organes de presse jouissant d'une grande confiance et qui sont aptes à informer le public des affaires courantes de façon objective. La confiance que les citoyens placent traditionnellement dans ces organes est basée sur la conviction que leurs journalistes font au moins de leur mieux pour présenter les faits sous un jour impartial. À partir du moment où ils constatent que ce n'est plus le cas, cette confiance vole en éclats – et tout espoir de bâtir une vie politique sur la base de faits partagés disparaît.
Au vu des quatre dernières années, j'irai même plus loin. L'ambition de nombreux journalistes de sauver la démocratie ne s'est pas seulement montrée fortement contreproductive parce qu'elle détournait une grande partie de leur lectorat de la presse généraliste. Elle a également privé les Démocrates de faits cruciaux dont ils auraient eu besoin pour prendre de bonnes décisions stratégiques – ce qui, par une ironie du destin, a contribué à consolider exactement les mêmes forces politiques que les journalistes qui s'évertuaient à sauver la démocratie essayaient de contenir.
Le coût cognitif de la partialité
Au cours des derniers mois, j'ai entendu de la bouche de plusieurs diplomates européens que l'étendue des difficultés de Joe Biden était bien connue depuis longtemps. Lors de rencontres avec des chefs d'État, le président américain répétait les mêmes anecdotes ou semblait confus, et ce dès 2021. Est-il vraiment plausible que les journalistes américains aient été incapables de découvrir un fait connu depuis si longtemps dans des capitales de toute l'Europe – un fait qui se trouve avoir été évoqué par des dizaines de millions d'électeurs américains comme étant un grave sujet d'inquiétudes lors des sondages d'opinion ?
Non. La vérité flagrante est que, pour la plupart, les journalistes ne voulaient tout simplement pas traiter cette information. Une partie de cette réticence peut avoir été ancrée dans un sentiment de bienséance compréhensible, quoique déplacé. Mais une autre trouvait sa source dans le soupçon non-dit qu'évoquer publiquement le sujet finirait d'une manière ou d'une autre par jouer en faveur de Donald Trump.
Or il se trouve que la réticence à jouer franc jeu avec les lecteurs a fini par accomplir exactement l'inverse du but recherché. Elle a permis à Joe Biden de rester suffisamment longtemps dans la course pour rendre la totalité de l’établissement Démocrate complice de la dissimulation de l'état réel de sa santé mentale. Et elle a rendu quasiment impossible d'organiser des primaires ouvertes pour choisir son successeur.
Cela nous amène à une autre manière par laquelle le consensus de la presse généraliste a fini par nuire aux Démocrates. La faiblesse de Kamala Harris en tant que candidate aurait dû apparaître depuis longtemps. Elle avait beau être entrée dans la course à l'investiture Démocrate de 2020 avec beaucoup d'enthousiasme et des coffres bien remplis, elle a mené une campagne catastrophique et n'a pas tardé à tomber sous la barre des dix pour cent dans les sondages. Au bout du compte, elle a été obligée d'abandonner la course avant que le premier bulletin portant son nom ait pu être glissé dans l'urne.
Joe Biden a relancé les espérances de Kamala Harris en restreignant sa recherche d'un colistier en fonction de critères démographiques, garantissant quasiment à coup sûr son ascension à la vice-présidence. Mais lorsqu'elle a reçu cette occasion en or de se présenter sous un nouveau jour au peuple américain, Kamala Harris a flanché. Malgré l'incessante et inédite emphase rhétorique mise sur « l'administration Biden-Harris », elle a pris elle-même très peu d'initiatives et s'est aliéné la majeure partie de ses équipes. Chargée d'aider à réduire le nombre de migrants clandestins qui s'introduisent dans le pays, elle a refusé de se déplacer à la frontière sud, sans doute de peur de contrarier certaines factions de sa base progressiste. La plupart du temps, pendant toute la période qui a précédé le retrait de Joe Biden, Kamala Harris a été beaucoup moins populaire que lui.
Tant que Kamala Harris n'était que candidate potentielle, il était encore possible de raconter tout cela dans les médias généralistes. À partir du moment où elle a été élevée au grade de candidate Démocrate, signaler ces réalités est soudainement devenu tabou. Et lorsqu'elle a bénéficié d'un prévisible (mais éphémère) déferlement d'enthousiasme en devenant la candidate officielle, l'esprit critique des journalistes des médias généralistes s'est totalement évaporé. Voilà qu'elle menait, disait-on, une campagne sans fautes, appuyée sur une lame de fond d'enthousiasme telle qu'on n'en avait plus vu depuis Barack Obama – et tout cela (malgré des sondages extrêmement serrés) devait la propulser à coup sûr sur le chemin de la victoire.
Cette confiance a été largement partagée dans la dernière phase de la campagne, tout particulièrement dans les cercles progressistes. Les stratèges Démocrates débordaient d'optimisme. Sur Twitter et MSNBC, sur NPR et dans le New York Times, ils proclamaient que les sondages internes montraient Kamala Harris largement en tête ; que le décompte des votes par anticipation était en faveur de leur parti, que tous les signaux indiquaient une participation massive et que les électeurs qui se décident à la dernière minute voteraient bleu.
Je soupçonne que certains de ces stratèges aient déployé, eh bien, une stratégie. Par principe, les électeurs ont envie de choisir quelqu'un qui gagne. Pour une équipe de campagne, il est donc logique de vouloir projeter une image de confiance lors du sprint final. À ce moment-là, j'ai envoyé des messages à quelques amis de confiance profondément introduits dans le monde des Démocrates. Tous m'ont assuré que leurs annonces publiques étaient ancrées dans des convictions privées. Certes, ont-ils concédé, ils s'étaient montrés trop confiants en 2016. Mais ils n'allaient certainement pas refaire la même erreur. Kamala était sur le chemin de la victoire. Elle allait peut-être même remporter l'Iowa !
Avec le recul, le coût de ces mensonges enrobant des illusions apparaît avec une douloureuse clarté. Si les membres de l'équipe de campagne de Kamala Harris avaient pris en compte le fait qu'elle n'était pas en bonne voie pour remporter l'élection, ils auraient pu prendre quelques risques rhétoriques et l'encourager à apparaître dans un éventail plus large d'émissions et de podcasts. Au lieu de cela, bercés par un sentiment d'autosatisfaction fourvoyé, ils ont opté pour la « sécurité ».
L'ironie est palpable. À chaque étape, les grands médias ont été particulièrement soucieux de ne pas mettre en avant des faits qui auraient pu entraver la victoire des Démocrates contre Donald Trump. Mais à chaque étape, ils créaient ainsi une bulle de « désinformation par l'élite » qui empêchait absolument les Démocrates de faire les difficiles choix stratégiques dont ils avaient besoin pour gagner l'élection. Le coût cognitif de l'esprit partisan des médias est très élevé – dans ce cas, au point d'avoir permis à Donald Trump d'être réélu.
Pourquoi vouloir à tout prix sauver la démocratie est contre- productif
Même si les voitures autonomes atteignent un jour un niveau de sécurité dépassant de loin celui des conducteurs humains, elles provoqueront parfois des accidents que la plupart des humains auraient pu éviter. Et pourtant, comme les défenseurs de cette technologie s'empresseront de le souligner, la logique veut qu'on adopte les voitures autonomes si elles réduisent le nombre de morts.
De la même manière, les défenseurs de la « clarté morale » dans le journalisme pourraient avancer que les tentatives d'influencer leur lectorat peuvent parfois dérailler, soit parce que les grands médias se trompent sur un sujet en particulier, soit parce que les lecteurs sont particulièrement rétifs à l'idée d'accepter une certaine dose de vérité. Mais, pourraient-ils argumenter, ce n'est pas une raison pour renoncer à l'ambition de sauver la démocratie si une telle aspiration a de fortes chances d'avoir un impact bénéfique la majorité du temps.
L'idée que nous devrions faire passer la série d'événements qui ont conduit à faire réélire Donald Trump pour ce genre de contretemps malheureux et atypique me laisse profondément sceptique, et ce pour deux raisons.
La première est que les journalistes surestiment énormément leur capacité à influencer leurs lecteurs. Les gens normaux sont parfaitement capables de sentir quand des journalistes manipulent tous leurs articles dans l'espoir de les amener à tirer les conclusions qu'ils veulent. Et plutôt que de tomber dans ce piège, beaucoup d'entre eux le considèrent comme une bonne raison de cesser de faire confiance au journalisme traditionnel, voire de cesser de lire ou de regarder les informations.
Cela a probablement toujours été le cas. Même au bon vieux temps où le New York Times jouissait (relativement) de la confiance des deux camps politiques et que les Américains s'informaient principalement sur CBS et NBC, la vision des citoyens ordinaires différait largement du consensus qui régnait au sein de la profession. Et surtout, les chercheurs qui ont voulu montrer que les théories du complot gagnaient en popularité ces derniers temps sont arrivés à la conclusion que le nombre d'Américains qui y croit est étonnamment constant depuis un long moment.
Mais c'est particulièrement vrai aujourd'hui, à l'ère de YouTube, des podcasts et des réseaux sociaux. Les journalistes obsédés par la question de savoir si Donald Trump ment ou s'il faut le qualifier de fasciste – ainsi que nombre de commentateurs des réseaux sociaux qui donnent leur avis, bien calés au fond de leur fauteuil – partent du principe que leurs choix auront un impact majeur sur l'opinion des citoyens. Las, cette hypothèse est sans fondement.
De la pandémie à la politique
La seconde raison qui me fait penser que l'objectif délibéré de tenter de sauver la démocratie est susceptible de se retourner contre lui-même est qu'il est extrêmement difficile de prédire les conséquences à long terme de mensonges supposément proférés pour la bonne cause. Au début de la pandémie, les autorités sanitaires ont insisté sur le fait que les gens ordinaires ne pouvaient pas se protéger efficacement du Covid en portant de simples masques chirurgicaux, argument dûment repris et amplifié sans le moindre recul critique par les journalistes des grands médias. Il y a de bonnes raisons de soupçonner qu'à la fois les responsables des autorités sanitaires et les journalistes ont adopté cette position en partie parce que de nombreux hôpitaux manquaient de matériel de protection à ce moment-là, ce qui faisait courir des risques aux médecins et aux infirmières et les empêchaient de prendre correctement soin des patients.
S'assurer que les personnels de santé ne manquent pas de masques au beau milieu d'une pandémie est un objectif tout aussi raisonnable en soi que de défendre la démocratie. Mais dans ce cas également, il s'avère que privilégier cet objectif au détriment de la vérité peut facilement se retourner contre vous.
Dans le cas des masques de l'époque du Covid, le mensonge pour la bonne cause a eu trois conséquences imprévues. Tout d'abord, les autorités de santé étaient trop occupées à s'assurer que les masques existants finissaient entre les bonnes mains et pas assez concentrées sur l'augmentation de la production de ces masques. Plutôt que de dire aux gens que les masques ne servaient à rien, elles auraient dû exhorter les entreprises à trouver des moyens ingénieux d'en produire davantage – ce qui a commencé à se réaliser une fois que la rhétorique officielle a fait machine arrière et qu'il est devenu évident que la demande de masques allait rester forte à court terme. Ensuite, les instructions de départ selon lesquelles les masques ne fonctionnaient pas ont rendu la tâche des autorités de santé beaucoup plus difficile lorsqu'elles ont voulu convaincre les gens de se masquer une fois qu'il n'a plus été problématique de s'en procurer. Enfin, cette volte-face flagrante dans les premiers temps de la pandémie a sapé pour longtemps la confiance du public dans les autorités de santé et probablement entravé l'acceptation des vaccins lorsqu'ils sont devenus disponibles.
Un brin d'empathie suffit pour comprendre comment les autorités de santé ont pu se planter de manière si catastrophique. Au début d'une pandémie, les informations sont limitées et les enjeux élevés. L'impression qu'il est nécessaire d'amener le public à prendre les bonnes décisions, même au prix de la franchise, doit être particulièrement prégnante. Mais la politique n'est pas moins compliquée ou imprévisible qu'une pandémie. Et comme en matière de santé publique, dans une démocratie qui fonctionne, un des prérequis les plus importants pour s'assurer le succès à long terme consiste à donner au public de bonnes raisons de faire confiance aux informations qu'on lui donne. La raison pour laquelle il est si important de privilégier la simple vérité plutôt que les objectifs activistes n'est pas que je ne partage pas ces objectifs ni que je les trouve nuisibles ; c'est que si nous ne nous méfions pas de nos propres tendances à nous autogratifier, le simple fait que ces objectifs soient si séduisants va continuer de nous inciter à nous planter dans les grandes largeurs.
La crise épistémologique des médias américains
Depuis quelques années, les journaux généralistes ne cessent d'écrire des articles sur la menace représentée par la « désinformation ». Il ne fait aucun doute qu'une grande quantité de messages faux ou inconséquents gagnent énormément de terrain sur les réseaux sociaux. Apporter la contradiction à ces mensonges est un objectif aussi crucial que légitime pour des journalistes responsables.
Mais la vérité, c'est que les médias traditionnels américains, eux aussi, traversent une grave crise épistémologique. Si vous étiez un fidèle lecteur du New York Times ou que vous écoutiez régulièrement NPR, vous étiez moins susceptible de croire que Joe Biden souffrait d'un sérieux déclin mental ou que Kamala Harris était une femme politique impopulaire dont le chemin vers la victoire présidentielle se faisait de plus en plus ardu que l'Américain moyen. Vous étiez également moins susceptible de reconnaître que les fermetures d'école allaient coûter très cher en termes de retards d'apprentissages et de santé mentale des élèves ou de vous rendre compte qu'un grand nombre de Latino-Américains adhéraient aux idées du Parti républicain. Et même encore aujourd'hui, vous seriez moins susceptible que la plupart des électeurs de reconnaître à quel point il est simpliste de croire qu'on peut en toute logique diviser l'Amérique en deux blocs qui s'opposent, les « Blancs » et les « personnes de couleur ».
Les Américains ont cessé de faire confiance à nombre de leurs institutions en bonne partie parce que tout en se posant en arbitres de la vérité et de la science, les médias traditionnels et les institutions de l’établissement interprètent et comprennent mal les aspects les plus basiques de la vie américaine. Les raisons de ce déplorable état de choses dépassent largement la décision de nombreux journalistes de s'offrir l'autosatisfaction de penser qu'ils ont pour mission de sauver la démocratie. Mais s'ils veulent résoudre ce problème, la première chose que les journalistes devront faire sera de revenir à la vieille vision routinière de leur travail qui les a relativement bien servis par le passé : cultiver une saine méfiance de tout le monde, sans distinction, y compris de ceux dont on pense secrètement qu'ils sont du bon côté de l'histoire, et relayer les informations sans peur et sans favoriser personne.