Comment Trump a redéfini le populisme pour reconquérir l’Amérique
La victoire de Trump en 2024 s’appuie sur une stratégie populiste inédite, mêlant audace, ambition et une ouverture sans précédent aux minorités.
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Yascha
La traduction suivante de mon article original en anglais, rédigé par Peggy Sastre, a été publié le 23 janvier dans Le Point.
Après la première élection de Donald Trump, les experts en sciences politiques qui avaient asséné catégoriquement qu'il ne pourrait jamais remporter une élection présidentielle se sont rapidement accordés sur une seule et même interprétation de son succès. Ce populiste autoritariste divisait l'électorat entre les « vrais » Américains et tous les autres et promettait de donner le pouvoir aux premiers tout en condamnant les seconds à rester à la marge (voire, selon les alarmistes les plus extrêmes, en les jetant dans des camps).
Deux choses étaient intrinsèquement liées dans cette interprétation : d'une part, le talent de démagogue de Trump pour mobiliser l'opinion populaire contre les normes et les valeurs d'un establishment inspirant une profonde méfiance, et d'autre part, son apparente alliance avec un électorat majoritairement blanc et âgé au statut social déclinant, craignant l'avenir et prêt à résister au changement par tous les moyens.
Il s'agissait d'une grave erreur d'analyse qui a totalement empêché de comprendre ce qu'il s'est tramé aux États-Unis ces dix dernières années. Car en dépit de toutes les prédictions selon lesquelles Trump ne pouvait en aucun cas gagner, il ne s'est pas contenté de mettre le pied dans la porte en 2016 ; il a également décroché une victoire bien plus convaincante en remportant le vote populaire en 2024.
Trump y est parvenu en appliquant ce qui est censé être le domaine d'expertise des universitaires : il a reconnu que la vision populaire de certains concepts – dans ce cas, le populisme – se constitue en réalité de deux éléments logiquement séparables. Dans sa plus récente incarnation, Trump est resté campé sur son dédain des vieilles normes et sur sa foi populiste dans la prérogative absolue de la majorité. Mais il a aussi exprimé de manière plus explicite que par le passé que sa vision politique était ouverte aux partisans de tous les groupes ethniques et religieux – qu'il a très habilement su courtiser en leur proposant une vision ambitieuse de l'Amérique.
Briseur de normes
Le côté briseur de normes de Trump a été flagrant dès le premier jour de sa seconde présidence. Il a insulté son prédécesseur en faisant preuve d'une indélicatesse peu orthodoxe pendant son discours d'investiture et avec sa brutalité habituelle lors des remarques qui ont suivi. Il est beaucoup plus entré dans le détail de ce qu'il prévoyait de faire et des décrets qu'il envisageait de signer que les derniers présidents. Il a laissé présager une crise constitutionnelle en annonçant qu'il déploierait l'armée à la frontière sud. Et il a fait un doigt d'honneur géant au droit international en suggérant qu'il pourrait bien occuper le canal de Panama.
Bien que le terme soit utilisé à tort et à travers et souvent galvaudé, le concept de populisme n'en reste pas moins le cadre le plus exact pour comprendre ses actions : il pense que puisqu'il est la voix légitime du peuple, ses actes ne doivent subir aucune restriction – ni par l'effet de normes non écrites, ni par les limites explicites imposées au pouvoir du président.
Mais l'autre facette de Trump, largement ignorée, était également flagrante. Il a tiré un plaisir évident du fait qu'il devait sa victoire à sa popularité croissante chez les Hispaniques, les Américains d'origine asiatique et les Afro-Américains. Il a ouvertement remercié ces groupes démographiques pour leur soutien. Il a même évoqué Martin Luther King Jr., et promis de faire de son rêve une réalité. Si David Duke (ancien chef du Ku Klux Klan) a, par le passé – et en partie pour des raisons stratégiques qui lui sont propres –, fait part de son soutien pour Trump, je ne peux imaginer qu'il ait pu apprécier grand-chose dans son discours d'investiture.
« Drill, baby, drill »
Les décrets que Trump a annoncés lors de son second discours d'investiture sont en grande partie faits sur mesure pour appuyer sa vision. Sa promesse de rétablir d'ordre dans les villes américaines va trouver un écho dans les segments les plus pauvres et les plus divers de son électorat, qui sont les premières victimes de la criminalité urbaine. Sa promesse de rétablir la liberté d'expression est largement appréciée des électeurs qui n'ont pas de grands diplômes et ont l'impression que les élites utilisent leurs codes moraux arbitraires et leurs conventions linguistiques comme des gourdins avec lesquels ils les matraquent selon leur bon vouloir. Même sa promesse de forer à volonté : « drill, baby, drill », connaît une vaste popularité chez les électeurs plus concentrés sur la réalisation de leur rêve américain dans les prochaines années que sur l'endiguement de la menace climatique dans les prochaines décennies.
Car ce qui est le plus frappant dans la vision de Trump, c'est que malgré toutes ses lamentations exagérées sur l'état délabré de l'Amérique, elle est profondément ambitieuse. Son hymne à la gloire de l'absence de préjugés raciaux et de la méritocratie résonne chez de nombreux électeurs hispaniques et d'origine asiatique qui se sentent bien plus assurés dans leur appartenance à l'Amérique au sens large que ce que suggèrent les invocations démocrates d'une catégorie tordue de « personnes de couleur. » Et sa promesse d'aller planter le drapeau américain sur Mars rappelle l'ambition collective et la grandeur de la course à l'espace des années 1960.
Ces dix dernières années a prévalu l'idée reçue que Trump s'était installé politiquement dans le cœur des « perdants de la mondialisation ». Selon l'image mémorable d'Arlie Hochschild, qui a verbalisé la version la plus sophistiquée de cette théorie, ses électeurs avaient prétendument l'impression d'être coincés dans une longue file d'attente qui n'avançait jamais, tandis que les mauvaises personnes – notamment les femmes et les minorités ethniques – grillaient tout le monde.
Retour à un soi-disant âge d'or
C'est sans doute ce qui attirait une partie de l'électorat de Trump et qui va probablement continuer à le faire. Mais une autre partie de sa base, tout aussi importante, a une vision complètement différente de l'Amérique. Issus de groupes autrefois repoussés à la marge de la société américaine ou qui ont immigré plus récemment, ces gens-là ne veulent pas revenir à un soi-disant âge d'or. Au contraire, ils sont optimistes face à l'avenir et adhèrent aux valeurs entrepreneuriales précisément parce qu'ils sentent que leur dur labeur commence à payer. Ils ne se voient pas comme des gens en train d'attendre dans une longue file statique qui ne bouge pas pour accéder à la destination qu'ils convoitent ; à tort ou à raison, ils pensent que les portes en seraient grandes ouvertes si leurs gardiens – des journalistes aux démocrates, en passant par les élites insistant pour conserver des normes périmées qui ne servent que leurs intérêts – n'avaient pas la cruauté de décider de leur en interdire l'accès.
Il existe de bonnes raisons de continuer à s'inquiéter devant cette version du populisme. Les démocraties ont, de fait, besoin de règles et de normes. Lorsque la séparation des pouvoirs est jetée aux chiens, mauvaises politiques et crises constitutionnelles périlleuses s'ensuivent. Et cette fois, ayant été capable de s'attirer un authentique soutien d'un échantillon plus large de la population que la plupart des observateurs ne l'ont reconnu jusqu'à une période très récente, le populisme à la Trump est bien plus susceptible de réussir à transformer la culture politique du pays.
Mais la première étape si l'on veut comprendre un mouvement politique quel qu'il soit consiste à prendre au sérieux les sources de sa popularité. Trump a façonné une sorte de populisme qui a su séduire un grand nombre de gens et qui fait de grandes promesses pour l'avenir. Si on voulait utiliser un terme universitaire idoine, on pourrait appeler cela du populisme multiethnique ambitieux. C'est là que résident la puissance, la promesse et le péril de la seconde présidence de Donald Trump.
Oui, et c'est pour cela que les democrates qui n'arretent de l'accuser de racisme n'ont rien compris. Si vous avez regarde la rencontre des democrates pour choisir le chef du DNC, c'etait tragi-comique. Lorsqu'on leur a demande s'ils croyaient que Kamala Harris a perdu puisqu'elle est noire et femme, tous on leve la main. Tous. Une telle betise et refus de voir la realite sont desesperants.