Le modèle allemand en échec
L’Allemagne traverse sa plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale. Ni Angela Merkel ni ses successeurs n’ont la moindre idée de la manière d’y remédier.
Bienvenue à ma newsletter en français.
Dans les mois à venir, j'espère publier ici au moins un article et une interview par semaine.
En anglais, j'ai déjà plus de 60 000 abonnés. En français, je débute tout juste. Pourriez-vous m'aider à faire connaître cette nouvelle publication en la partageant aujourd'hui avec trois amis ou connaissances ? Je vous en suis très reconnaissant.
Yascha
La traduction suivante de mon article original en anglais, rédigé par Peggy Sastre, a été publié le 20 décembre dans Le Point.

Pendant quelques mois, à l'hiver 2016, la chancelière allemande Angela Merkel a été largement saluée comme étant le dernier rempart de la démocratie occidentale. Certains sont allés jusqu'à la qualifier de véritable leader du monde libre. Après sa dernière rencontre officielle avec Barack Obama, alors président sortant des États-Unis, celui-ci aurait dit à son équipe : « Elle est toute seule. »
Donald Trump venait juste d'être élu 45e président des États-Unis. Le Royaume-Uni avait récemment opté pour quitter l'Union européenne. Les dirigeants de France, d'Italie, du Japon et de Corée du Sud semblaient bien faibles. En Russie et en Chine, les dictateurs gagnaient en assurance. Seule Merkel défendait sans faiblir les valeurs progressistes (ou en tout cas, c'est ce qui se disait).
Angela Merkel : dernière gardienne des valeurs progressistes ?
Voilà qu'Angela Merkel publie ses Mémoires, au titre univoque : Liberté. Ce livre rappelle à quel point sa vie a été remarquable. Fille de pasteur dans l'Allemagne de l'Est communiste, elle avait 35 ans au moment de la réunification. Sous-estimée tant par ses amis que par ses ennemis, elle a connu une carrière fulgurante après la chute du mur de Berlin. À 51 ans, elle occupait le poste le plus haut placé du pays et n'allait plus le lâcher pendant seize ans.
J'ai refermé les Mémoires d'Angela Merkel convaincu que c'était autant une femme bien qu'une personne obstinée. Le problème, c'est lorsqu'elle se met à parler des moments cruciaux de ses mandats : là, c'est le drame. En effet, elle a beau avoir toujours fait de son mieux pour prendre les bonnes décisions, elle a presque toujours réussi à se planter, dans tous les domaines – une expérience dont elle refuse, encore aujourd'hui, de tirer des leçons. « Si ça aide quelqu'un d'affirmer : “C'était la faute de Merkel”, alors laissez-le dire », a-t-elle avancé d'un ton maussade lors du lancement officiel de son livre à Berlin. « Mais je ne crois pas que ça va aider le pays. »
Depuis que Mme Merkel a quitté le pouvoir en décembre 2021, son héritage a perdu de son lustre. Le modèle allemand ne fonctionne plus. Et avec le recul, il apparaît avec une douloureuse évidence que les principales décisions prises par Angela Merkel lorsqu'elle était au pouvoir – y compris son indulgence vis-à-vis de la Russie et les accords commerciaux qu'elle a passés avec la Chine – ont précipité cette dégringolade. Hélas, rien ne laisse croire que les successeurs de Mme Merkel en ont tiré des leçons.
Un héritage politique entre réussites et échecs cuisants
À une époque qui mettait plutôt en valeur les grandes gueules et les démagogues, le style d'Angela Merkel était consensuel, voire laconique ; son idéologie, si elle en avait une, consistait à maintenir le cap. Bien qu'elle eût dirigé un parti conservateur, elle s'était installée sans le moindre complexe en plein dans le centre politique et s'en remettait, à chaque étape, à la volonté apparente de la majorité. Lorsque conflits et guerres civiles au Moyen-Orient ont fait déferler des centaines de milliers de réfugiés aux portes de l'Allemagne, inspirant une vague de compassion aussi brève qu'intense, elle a refusé de fermer les frontières du pays et dit, avec la simplicité qui la caractérise : « On va se débrouiller pour que ça marche. »
Et pourtant, rétrospectivement, la politique d'Angela Merkel en matière d'accueil des réfugiés ne paraît ni particulièrement rationnelle, ni particulièrement humaine. Accueillir de véritables réfugiés est louable. Et la récente chute du régime cruel de Bachar el-Assad nous rappelle que nombre de ceux qui le fuyaient avaient de bonnes raisons de craindre pour leur vie.
Mais il est loin d'être évident qu'inciter des gens désespérés à mettre leur vie entre les mains de criminels sans scrupule pour tenter un périlleux voyage sur la Méditerranée entre dans la catégorie de la véritable compassion – surtout lorsque ceux qui ne veulent ou ne peuvent en faire autant sont condamnés à se débrouiller seuls. Cette politique semble même carrément hypocrite quand on sait qu'Angela Merkel a vendu sa décision de garder les frontières de l'Allemagne ouvertes tout en concluant un coûteux accord avec Recep Tayyip Erdogan, l'homme fort de Turquie, et dans les faits le payait pour faire le boulot, c'est-à-dire pour arrêter le flux de désespérés à sa place.
Il se trouve que cette approche malhonnête de la crise des réfugiés a aussi eu un lourd coût politique. Alors même qu'elle faisait son possible pour juguler le flux de réfugiés, Angela Merkel a constamment refusé de reconnaître qu'elle avait changé de cap. Lors des élections fédérales de l'automne 2017, Alternative pour l'Allemagne (AfD), un parti d'extrême droite dont les dirigeants citent régulièrement des slogans nazis et suggèrent que les Allemands devraient prendre un « virage à 180 degrés » dans leur manière d'interpréter leur histoire, est entré au Bundestag pour la première fois. Depuis, en partie parce que de nombreux réfugiés n'ont pas réussi à s'intégrer sur le marché du travail allemand et que certains se sont tournés vers une criminalité violente, la popularité de ce parti n'a fait que croître. Selon de récents sondages, l'AfD sera la deuxième plus grande force politique lors des élections fédérales prévues en février 2025.
Même pour les partisans d'une approche pleine de compassion en matière de migration, les décisions d'Angela Merkel lors de la crise des réfugiés se sont avérées être une victoire à la Pyrrhus. En 2015, la moindre critique de sa politique d'ouverture de frontières vous catapultait d'office à l'extrême droite de l'échiquier politique européen. Mais ses conséquences ont contribué à rendre les électeurs de tout l'Occident bien plus réticents face à l'immigration incontrôlée et ont fourni aux dirigeants très à droite, de Giorgia Meloni en Italie à Donald Trump aux États-Unis, des arguments qui ont facilement trouvé un écho. Dix ans plus tard, même les partis de gauche tiennent à préciser qu'ils ne permettraient jamais à un tel flux de se réitérer s'ils étaient au pouvoir.
La crise de l'Allemagne dépasse largement la question migratoire. Comme l'a notoirement formulé Constanze Stelzenmüller, membre du think tank Brookings Institution, l'Allemagne a longtemps « sous-traité sa sécurité aux États-Unis, ses besoins énergétiques à la Russie et sa croissance, tirée par les exportations, à la Chine ». Angela Merkel a renchéri sur ces trois paris. Et depuis qu'elle est partie, les trois ont capoté.
Les défis de la dépendance énergétique et militaire
L'Allemagne est passée à une vitesse vertigineuse de moteur économique à nouvel « homme malade de l'Europe ». La production industrielle du pays connaît une baisse significative. Son industrie automobile tant vantée a été particulièrement touchée. Volkswagen, par exemple, a récemment annoncé qu'il allait fermer certaines de ses usines allemandes pour la première fois de son histoire. On peut affirmer sans exagérer que l'Allemagne est confrontée aujourd'hui à sa crise la plus profonde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À l'après-guerre, l'Allemagne de l'Ouest s'est retrouvée dans une drôle de position. Le rideau de fer passant au beau milieu de la ville de Berlin, elle constituait une frontière clé dans la guerre froide. Mais compte tenu de son histoire récente, les alliés de l'Allemagne n'ont pas laissé le pays se constituer une armée solide, ce qui a incité le gouvernement de Bonn à s'appuyer sur les États-Unis pour ses besoins de défense. Avec le temps, cette dépendance de l'Oncle Sam est devenue un réflexe. Aujourd'hui encore, de nombreux Allemands considèrent les Américains comme des cow-boys obsédés par les flingues, tout en oubliant commodément que ce sont précisément ces cow-boys et ces flingues qui permettent à leur pays de rester en sécurité depuis quatre-vingts ans.
Angela Merkel n'a jamais partagé cet antiaméricanisme primaire. Mais elle n'a pas su reconnaître que la longue période de vacances de l'histoire de l'Allemagne s'était achevée. Même après que Trump est arrivé au pouvoir, qu'il a exigé que les nations européennes augmentent leurs dépenses militaires et remis en cause l'utilité de l'Otan, elle n'a pas résolument augmenté le budget de la défense. Lorsqu'elle a quitté son poste en 2021, l'armée allemande était devenue ridiculement célèbre pour n'avoir quasiment pas d'avions en état de fonctionner.
Olaf Scholz, social-démocrate centriste qui a été vice-chancelier d'Angela Merkel pendant quatre ans et a adopté son style laconique en lui succédant en décembre 2021, fait honneur à cet héritage d'inaction. Quelques jours après que Vladimir Poutine a envahi l'Ukraine, M. Scholz a brièvement semblé comprendre que la vieille posture géostratégique de l'Allemagne était devenue intenable. Qualifiant la guerre de Zeitenwende (en gros, de « tournant historique »), il a promis d'investir dans l'armée allemande et d'assurer à l'Ukraine le soutien total de son pays.
Malheureusement, ses paroles n'ont jamais réellement été suivies d'effets. À toutes les étapes de la guerre, l'Allemagne a hésité et s'est dérobée, et elle en a fait beaucoup moins pour l'Ukraine que les États-Unis en valeur absolue ou que la Pologne ou les États baltes en termes relatifs. Cédant au sentiment traditionnellement russophile de son parti, Olaf Scholz ne se donne même plus la peine de prétendre défendre l'idée d'un Zeitenwende. Engagé dans le difficile chemin de sa réélection, il met en avant sa réticence à aider l'Ukraine dans le cadre de sa rhétorique de campagne et il est même allé récemment jusqu'à suggérer que la position marginalement plus combative de son adversaire l'empêcherait d'investir dans les infrastructures du pays. Aujourd'hui, l'Allemagne n'est pas plus près d'être la gardienne de la paix et de la stabilité de l'Europe qu'elle ne l'était il y a vingt ans.
Il est un domaine, au moins, dans lequel l'Allemagne a vraiment réussi à trouver un équilibre entre l'Est et l'Ouest au cours des dernières décennies : elle a contrebalancé sa dépendance militaire aux États-Unis avec une dépendance énergétique à la Russie. Ses dirigeants ont tendance à justifier leur désir de faire ami-ami avec le Kremlin par leur culpabilité historique, compte tenu du grand nombre de soldats russes morts en combattant les nazis (curieusement, ils ne semblent pas ressentir la même culpabilité envers les Polonais ou les Ukrainiens qui ont tout autant souffert à cause des Allemands). Mais la vraie raison est bien plus simple : ils n'ont pas osé sevrer leur industrie de son addiction au gaz russe bon marché.
À sa décharge, Angela Merkel était bien moins naïve quant à la personnalité ou aux ambitions de Vladimir Poutine que bien d'autres dirigeants allemands. Ayant grandi dans un État policier communiste, elle était mieux placée que beaucoup pour comprendre que l'esprit du KGB n'avait pas quitté Poutine après son départ du KGB (entre autres périodes de service, il a passé un certain nombre d'années en Allemagne de l'Est, à donner des instructions à la Stasi).
Au cours d'une rencontre bilatérale au Kremlin en 2006, Vladimir Poutine – qui savait qu'Angela Merkel avait une peur panique des chiens depuis qu'elle avait été mordue dix ans auparavant – avait permis à son labrador de saluer et de renifler Angela Merkel à loisir. Dans ses Mémoires, l'ex-chancelière insinue que cela révèle une tendance sadique : « Ce que j'ai lu sur le visage de Poutine, c'est qu'il semblait prendre plaisir à la situation. Voulait-il simplement voir comment réagit quelqu'un en situation de détresse ? »
Mais cela ne fait que rendre plus déconcertant encore le choix d'Angela Merkel de conduire des politiques qui n'ont fait que renforcer la dépendance allemande au gaz russe. Elle a ordonné la fermeture des réacteurs nucléaires allemands, soi-disant pour des raisons écologiques, rendant le pays encore plus dépendant des énergies fossiles importées. Bien après que le Kremlin a occupé le territoire géorgien en 2008 et ukrainien en 2014, elle a persisté à soutenir Nord Stream 2, un gazoduc transportant directement du gaz de la Russie à l'Allemagne. Les coûts du secteur industriel allemand, extrêmement énergivore, ont grimpé pendant son mandat, pour atteindre un pic en 2022 après que Poutine a lancé son invasion totale de l'Ukraine – menaçant la viabilité des activités industrielles du pays et le faisant plonger dans la récession.
C'est là un autre domaine dans lequel Angela Merkel porte une plus grande responsabilité, et ceci à cause de sa longévité au pouvoir et non parce qu'elle se distingue du reste de la classe politique allemande. Gerhard Schröder, son prédécesseur social-démocrate, était si copain avec Vladimir Poutine qu'il a rejoint le conseil d'administration de Gazprom après la fin de son mandat. Le parti des Verts, bien qu'il tire sa source du « Mouvement pacifiste » anti-occidental, est devenu la force politique allemande qui critique avec le plus de constance les puissances autoritaires comme celles du Kremlin ; mais comme il n'a pas encore révisé son opposition dogmatique à toutes les formes d'énergie nucléaire, il n'a pas non plus été capable de mettre au point un projet réaliste permettant de mettre un terme à la dépendance de l'Allemagne au gaz russe.
Les Allemands ont longtemps tiré une grande fierté de leur statut d'Exportweltmeister, principal exportateur du monde. Pour les entreprises allemandes, cela impliquait de trouver des marchés pour leurs automobiles et pour d'autres biens manufacturés de grande valeur. Ces dix dernières années, le plus attrayant de ces marchés, c'était la Chine. Par conséquent, les politiciens allemands ont joyeusement enchaîné les uns à la suite des autres les pèlerinages à Pékin, les plus intrépides allant jusqu'à marmonner quelques nobles discours sur les droits humains avant de conclure des accords commerciaux visant à renforcer les relations bilatérales.
Là encore, il s'agit d'un domaine où à la fois Angela Merkel et ses successeurs ont manqué soit de la lucidité nécessaire, soit du courage pour changer de cap. Alors même que Xi Jinping resserrait son étreinte sur le pouvoir, Angela Merkel a continué à faire mine de croire que le commerce avec les pays occidentaux contribuerait à assouplir la férule communiste. En 2020 encore, elle défendait avec vigueur un accord d'investissement entre Bruxelles et Pékin. Bien qu'elle revendique que l'endoctrinement marxiste-léniniste qu'elle a subi enfant l'ait aidée à comprendre la mentalité autoritaire de Xi, elle insiste au bout du compte sur le fait qu'elle a, à juste titre, privilégié son penchant pour la realpolitik : « Il y allait, concrètement, des intérêts de l'Allemagne », insiste-t-elle dans Liberté. « Notre coopération économique [avec la Chine] garantissait des emplois allemands. »
Sous Merkel, de grandes entreprises allemandes comme Daimler et Volkswagen en sont venues à être encore plus dépendantes des consommateurs chinois. Mais loin d'aider à assurer la prospérité allemande, comme Angela Merkel semble encore le croire, cette dépendance s'est progressivement transformée en menace existentielle. Pendant que les fabricants allemands prenaient du retard dans le domaine des voitures électriques, technologiquement les start-up chinoises faisaient des bonds de géant. Aujourd'hui, la Chine exporte davantage de véhicules qu'elle n'en importe, ce qui pose un double danger à la viabilité financière du secteur le plus important de l'économie allemande.
Une économie allemande fragilisée : l'ère post-Merkel en question
L'histoire de l'Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale est celle d'une étonnante success-story. Lorsque la République fédérale d'Allemagne a été créée quatre ans après la fin du conflit, les perspectives de voir se lever une démocratie florissante étaient particulièrement incertaines ; le pays, déjà divisé entre l'Est et l'Ouest, était pour sa plus grande part un champ de ruines. À l'heure de fêter son 75e anniversaire, la République fédérale peut être fière de ses remarquables réussites. L'Allemagne a totalement adopté la démocratie et s'est fermement ancrée dans l'alliance occidentale. Elle a tiré les leçons du passé au point que ses voisins craignent désormais davantage ses faiblesses que sa force. Et elle a été, plusieurs dizaines d'années durant, l'économie la plus prospère du continent européen.
Mais il est désormais peu sûr que l'Allemagne soit capable de continuer sur cette voie. Les entreprises qui jouent un rôle moteur dans la prospérité du pays depuis les années 1950 sont confrontées à des menaces de dégraissages, voire de faillites. Le malheureux gouvernement de coalition qui a succédé à Angela Merkel s'est récemment désintégré dans la rancœur. Les extrémistes occupent une place croissante dans la politique allemande. Vladimir Poutine menace l'ordre politique européen. Même la capacité de Berlin à sous-traiter ses besoins sécuritaires à Washington pourrait bien toucher à sa fin.
Voulez-vous (ou connaissez-vous quelqu’un) qui aimerait recevoir mes articles et mes discussions directement dans votre boîte aux lettres en allemand ou en anglais?
L'urgence de réinventer le modèle allemand pour éviter le déclin
Tout cela appelle à une réorganisation radicale du modèle allemand. S'ils veulent garantir que le pays sera capable de prolonger son remarquable cycle de succès, ses dirigeants devront repenser sa stratégie économique, culturelle et géopolitique. Mais si beaucoup déplorent bruyamment l'état du pays, pratiquement personne, à Berlin, ne semble avoir pris la mesure de l'importance du moment.
Là encore, c'est un domaine dans lequel les manquements d'Angela Merkel sont représentatifs des échecs à plus grande échelle de son pays. Dans ses Mémoires, elle reconnaît à peine la moindre faille personnelle ou politique. Lors de ses apparitions publiques depuis leur publication, elle a paru vexée de devoir supporter des questions impertinentes évoquant ses erreurs. Qu'il s'agisse de sa mollesse face au Kremlin, de son échec à moderniser l'industrie allemande ou de sa réponse confuse à la crise des réfugiés, elle paraît incapable de comprendre le coût élevé de ses décisions.
« À mes yeux », écrit-elle dans l'épilogue de ses Mémoires, « la liberté signifie de continuer d'apprendre, même après avoir quitté la politique ». Et pourtant, elle semble encore s'accrocher aux illusions qui l'ont fait se fourvoyer au départ. Lorsqu'elle essaie d'expliquer pourquoi elle n'a pas su affronter la Russie, par exemple, elle suggère bizarrement que « personne ne sait si l'attaque de l'Ukraine par Vladimir Poutine le 24 février 2022 aurait pu être évitée si la pandémie ne s'était pas produite et s'il y avait eu des rencontres en personne plutôt que virtuelles. »
Depuis 1945, la principale qualité des dirigeants allemands a toujours été d'être raisonnables, peut-être même un peu barbants sur les bords. Konrad Adenauer, le premier chancelier d'après-guerre, avait remporté toute une série d'élections avec le slogan : « Pas d'expérimentations ». De Helmut Kohl à Angela Merkel, sans oublier Olaf Scholz, la plupart des dirigeants qui lui ont succédé ont marché sur ses traces. Ils ont été corrects, compétents et, pour la plupart, à peu près dénués de toute imagination.
Le pays en a tiré profit pendant plusieurs dizaines d'années. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et il se trouve qu'aujourd'hui, le modèle d'après-guerre a atteint son point de rupture. Ce qu'il faut à la classe politique et intellectuelle allemande à présent, c'est du courage et de l'imagination ; et l'absence de signaux indiquant qu'elle est capable de faire preuve de l'un ou de l'autre est particulièrement inquiétante.